Cord à l’échelle 810

Publié dans le Magazine Belles Autos d’hier, volume 18, no 1

Par André Nourry

Crédit photo : Pierre Bureau

Au début de la décennie 1930, Erret Lobban Cord, un magnat américain de l’automobile, décide de lancer une nouvelle marque. Deux compagnies qu’il contrôle, soit Duesenberg Motors Corporation et Auburn Automobile, produisent respectivement des véhicules s’adressant aux millionnaires et au marché populaire. En plus, il vise le marché intermédiaire.

Cord s’adresse alors à Gordon Buehrig, un réputé concepteur automobile, pour concevoir un véhicule révolutionnaire. Il en résulte la Cord 810 et sa version plus musclée, la 812. Quoique extraordinaire pour l’époque et malgré un accueil magistral au Salon de l’auto de New York, elle ne sera produite qu’à quelque 2 400 exemplaires de 1935 à 1937, et ce, étant donné des problèmes de production et des annulations de commandes découlant de délai indu de livraison.

Malgré cette production à échelle réduite, elle reste une référence dans le milieu à cause de ses nombreuses nouvelles caractéristiques pour l’époque. Première traction avant produite en série aux É.-U., elle incorpore plusieurs nouveautés : absence de marchepieds, phares escamotables, capot (surnommé alligator ou en forme de cercueil) qui cache le radiateur, tuyaux d’échappement apparents, bouchon d’essence dissimulé, etc. Son originalité en fait aujourd’hui un véhicule très prisé des collectionneurs.

L’enthousiasme d’un promoteur redonne vie à la Cord!

Mais, et c’est la raison d’une renaissance pour ce véhicule, elle retient l’attention et frappe l’imaginaire d’un dénommé Glenn Pray.

Né en 1925, Pray est en pleine adolescence lorsque la Cord 810 commence à circuler dans les rues de Rocky Ford au Colorado. Il se souvient très bien du moment et du lieu où il voit pour la première fois une Cord… Comme il roulait à bicyclette avec un ami au moment d’apercevoir ce véhicule, ils décident de le poursuivre jusqu’à l’hôtel où loge son propriétaire et, dès que le conducteur se stationne, il s’empresse à l’interroger à propos de son étrange véhicule. Au grand plaisir des adolescents, ce dernier leur ouvre grand les portes de son bolide. Personne ne réalise à ce moment l’impact déterminant de cette rencontre. Ces instants sont gravés à jamais dans sa mémoire parce que ce 7 décembre 1941 marque le jour de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor.

Glenn est habile de ses mains et doué pour la mécanique. Au « high school », il étudie la menuiserie, la mécanique automobile et la soudure. N’aimant pas trop étudier, il quitte l’école et s’enrôle dans la Marine. Des problèmes de santé l’obligent toutefois à renoncer. En 1947, il obtient une licence de pilote d’avion de plaisance. En 1952, il devient finalement professeur de mécanique automobile. Pourvu d’un revenu régulier, il envisage alors l’acquisition de sa fantaisie automobile, la Cord. Et, au fil des années, il en deviendra un grand collectionneur; en 1956, il en possède 13!

Il effectue de la restauration et présente un véhicule à l’Indianapolis Auto Show avec lequel il obtiendra une 3e place. Sa passion pour cette marque l’amène jusqu’à faire l’acquisition, après de multiples tractations, de l’entreprise Auburn, Cord, Duesenberg Company, une survivante assurant la fourniture de pièces de rechange. Mais l’administration de cette compagnie ne lui suffit pas, car il souhaite relancer la production d’une version modernisée de ce modèle.

Il effectue une première démarche. En échange de la réparation d’une transmission, il obtient d’un artiste dessinateur trois esquisses d’un nouveau modèle. Conformément à son rêve, ce sera une voiture pleine grandeur.

Un article de journal paru en juin 1960 affirme même que Pray envisage de produire un véhicule américain de prestige équivalent à une Rolls Royce. Pourtant, d’autres ont essayé de faire revivre de grandes marques et ont échoué. Mais voilà qu’intervient quelqu’un qui va faire la différence… Gordon Buehrig, le chef styliste de la Cord 810 originale est au courant du projet de Glenn Pray. Il est maintenant chef de section chez Ford Motor Co. Même si techniquement Glenn devient ainsi un rival de Ford, Gordon comprend que le projet de Glenn ne sera pas une menace pour Ford et il apprécie que ce dernier lui offre sa collaboration.

Alors que Glenn fait part de ses plans à Gordon, celui-ci, fort de son expérience des dernières années dans le domaine automobile, comprend que le projet est voué à l’échec. Il mentionne que la prochaine Mustang sera plus petite que les sedans conventionnels et tente de convaincre Glenn qu’une version plus petite de son projet aurait plus de chance de se vendre. Il lui offre même de sculpter dans son atelier personnel un modèle en glaise à l’échelle 1/8. Pray demeure sceptique à l’idée d’une plus petite Cord. Par ailleurs, il refuse carrément la proposition d’une propulsion. Une Cord qui n’est pas une traction, n’est pas une Cord.

La recherche d’une mécanique qui répond à cette configuration s’avère difficile. Il y a bien des unités mécaniques européennes qui conviennent, mais une Cord tout américaine, ça demeure un autre objectif de Glenn. Lors d’une rencontre, au printemps 1961, Gordon rappelle à Glenn que la prochaine Mustang sera d’une dimension équivalente aux trois quarts d’une voiture pleine grandeur. Ce dernier accepte finalement à l’idée d’une Cord de dimension semblable. Gordon lui propose alors d’adopter une mécanique Corvair. Pour ce faire, il suffit d’installer à l’avant cette mécanique déjà complète en elle-même et on obtient une traction comptant en plus une transmission positionnée en avant du moteur, soit la même configuration que sur l’originale 810. Glenn donne son « OK » à Gordon pour sculpter un modèle en glaise.

La conception mécanique débute… 8/10!

L’empattement d’une Cord d’origine était de 125 pouces tandis que celui de la nouvelle sera de 100 pouces, soit 8/10. Les deux premiers prototypes utiliseront des pièces récupérées de deux Citroën usagées. Pour les véhicules de production, hormis la mécanique Corvair, les autres pièces composantes proviendront de différentes marques. Les barres de torsion seront celles d’une Plymouth Valiant, les plaquettes de frein arrière seront celles d’une Rambler, et ainsi de suite. Quant à la carrosserie, elle sera fabriquée à partir d’un produit nommé « Expanded Royalite ».

On est à l’ère des plastiques dont le nom chimique a pour diminutif ABS. La compagnie U. S. Rubber qui a développé le produit de base dans les années 1940, a conçu une nouvelle variante et pense que son nouveau produit pourra concurrencer la fibre de verre. Déjà utilisé sur des bateaux et des canots, elle cherche d’autres débouchés, et la nouvelle Cord deviendra un terrain de prédilection pour une nouvelle application. Cette association sera bénéfique pour les deux parties. Pour Cord, cela évite un investissement important pour d’énormes presses à embosser le métal alors que pour U. S. Rubber, c’est l’occasion de perfectionner et de publiciser un nouveau produit. Elle s’arrangera d’ailleurs avec la revue Road and Track pour obtenir une apparition dans la publication. Cette nouvelle petite Cord fera également la page couverture de Popular Mechanics.

La Cord Automobile Company; un feu de paille

Puisque la production de la nouvelle Cord était une activité complètement séparée de la fourniture de pièces et de la restauration des Cord d’origine, Glenn Pray constitua en 1965 une nouvelle entité légale complètement distincte de Auburn-Cord-Duesenberg Company, soit la Cord Automobile Company.

Mais les embuches commencèrent et s’accumulèrent au point où Glenn se trouva poussé hors de sa propre compagnie. Seulement trois véhicules de production avaient été produits au moment où Glenn quitta son entreprise. Les activités continuèrent jusqu’en juillet 1966 et la compagnie fit faillite en mars 1967. Au total, six prototypes auront été conçus sous le règne de Auburn-Cord-Duesenberg Company et 91 véhicules de production fabriqués sous le règne de Cord Automobile Company.

À ce jour, la presque totalité des Cord 8/10 sont encore existantes et leur popularité fait que leur valeur approche, dans certains cas, la valeur des Cord d’origine.

 

Source principale : Glenn Pray, the man who brought legends to life (John B. Malks, 2007)